De nombreux amateurs de bonsaïs connaissent les termes japonais jin et shari qui désignent des effets de bois mort (branche et partie du tronc écorcées), mais peut-être ne connaissent-ils pas
le terme uro, littéralement "trou".
Cet article va décrire la technique et l'objectif de la création d'un uro.
JIN & URO
Les jin sont souvent utilisés sur les pins, les genévriers et autres conifères pour indiquer l'endroit où des branches sont mortes, se sont desséchées, se sont cassées et, éventuellement, ont été blanchies par le soleil.
Cette technique permet de créer une illusion de vieillissement et de reproduire un phénomène naturel observé sur les arbres poussant en pleine terre.
Cependant, malgré quelques exceptions, les jin ne conviennent généralement pas aux arbres à feuilles caduques : en effet, les branches mortes des feuillus poussant en pleine terre ne sèchent pas et ne restent pas sur
l'arbre comme chez les conifères ; au lieu de cela, elles pourrissent rapidement et se détachent du tronc. Donc, chez les bonsaïs à feuilles caduques, les jin paraissent non seulement artificiels et peu réalistes
à un œil averti, mais ils peuvent aussi être très difficiles à conserver car, tout comme chez leurs homologues cultivés en pleine terre, ils pourrissent facilement.
Par contre, chez les feuillus vont naturellement se développer des uro : des branches basses, voire des troncs fins ou même des racines, vont mourir et se décomposer, se détacher de l'arbre, en laissant des plaies dans
le tronc ; les plaies les plus petites (causées par la mort de petites branches) finiront par cicatriser sous l'écorce mais, à l'intérieur des plaies plus importantes, le bois se décomposera et des cavités se
formeront dans le tronc.
On voit ces uro à la base de ce vieux sorbier des montagnes ci-dessous :

C'est ce que nous essayons d'imiter lorsque nous créons un uro sur un bonsaï.
TAILLE DES GROSSES BRANCHES DES BONSAÏS À FEUILLES CADUQUES
Lorsqu'on taille les branches d'un bonsaï conifère, il est courant de laisser un moignon qui peut ensuite être transformé en jin et traité au polysulfure de calcium. L'une des raisons de l'utilisation de cette technique,
c'est que, si la branche est taillée au ras du tronc, la plaie qui en résultera sera inesthétique et mettra de nombreuses années à cicatriser (avec la formation d'une nouvelle écorce)... si jamais elle cicatrise.
Lorsqu'on taille des branches de bonsaïs à feuilles caduques à cicatrisation rapide, il est courant de tailler au ras du tronc, en creusant très légèrement la plaie.
Cependant, certaines espèces de feuillus ne produisent pas facilement de tissu cicatriciel et cicatrisent très lentement, ce qui donne une cicatrice plate et peu naturelle. Dans d'autres cas, les plaies peuvent être si
importantes -notamment après une taille sévère du tronc- qu'il est illusoire d'espérer une cicatrisation en moins de 10, 20 ans, voire plus. C'est là que l'uro peut s'avérer très efficace !
Voici ci-dessous l'exemple d'une aubépine à laquelle on a retiré une branche d'environ 2-2,5 cm de diamètre à l'avant du tronc :

La branche a été coupée à ras et légèrement creusée, comme c'est habituellement le cas pour les espèces à feuilles caduques (photo de gauche). Cependant, la plaie/cicatrice ainsi formée ne guérira pas avant au
moins 5 à 10 ans, voire plus. Une fois guérie, la cicatrice mettra encore de nombreuses années à développer l'écorce mature qu'on trouve dans la zone alentour.
Plutôt que de laisser la plaie telle quelle, à cet endroit si visible -à l'avant de l'arbre- on crée une cavité, uro (photo de droite). La plaie devient ainsi un effet de bois mort intéressant.
CRÉATION D'UN URO
Créer un uro est très facile : on utilise un foret ou une fraise ordinaire montés sur une perceuse, une Dremel, et on les enfonce dans la plaie pour y créer un creux. Creuser une forme quelque peu aléatoire donne l'aspect
le plus naturel. La seule règle est d'essayer d'éviter un uro parfaitement (et donc artificiellement) rond : il faut donc s'assurer qu'il ne soit pas simplement un trou uniforme creusé à une profondeur uniforme !
Si créer un uro est une technique très simple, cependant apprendre à utiliser un uro correctement sur le plan esthétique est plus difficile. Avant de créer un uro sur un bonsaï, il faut toujours se demander
si cette technique conviendrait à l'arbre.
Harry Harrington utilise fréquemment l'uro sur les aubépines prélevées (yamadori), où il est souvent nécessaire de supprimer de grosses branches, mais où la production de tissu cicatriciel et la cicatrisation des
plaies sont faibles. Dans ces cas-là, le recours à l'uro est indispensable pour éviter que le futur bonsaï ne soit couvert de vilaines plaies non cicatrisées. La robustesse et les qualités "masculines" de l'aubépine se
prêtent parfaitement à cette technique.
En revanche, il est déconseillé de créer un uro sur un arbre comme l'Acer palmatum, qui est une espèce beaucoup plus gracieuse et "féminine" et qui montre une forte capacité pour cicatriser parfaitement les grosses
plaies.
Il convient de noter qu'une fois qu'on a réussi à transformer une plaie en uro, il est impossible de revenir en arrière : elle ne cicatrisera jamais complètement.
Enfin, il faut savoir que créer un uro n'est pas la seule façon de dissimuler une grande blessure sur les espèces à feuilles caduques : bien que ce soit la méthode préférée de Harry Harrington, il précise qu'il est
également possible d'appliquer de la peinture acrylique sur de grandes cicatrices et blessures, ou de masquer les plaies (sur les espèces à écorce rugueuse) avec des morceaux d'écorce.
TRAITEMENT ET PROTECTION DE L'URO
Immédiatement après la création d'un uro, la couleur du bois est vive et éclatante. Mais, s'il est laissé aux intempéries, le bois va vieillir et prendre une teinte plus naturelle au cours des mois suivants.
Si on cherche une solution plus rapide, on peut utiliser du polysulfure de calcium, mélangé à de la peinture acrylique noire ou de l'encre de Chine afin d'obtenir une couleur plus foncée et plus subtile. Il est déconseillé
d'utiliser du polysulfure de calcium pur, car le blanc éclatant du bois paraît très artificiel.
Selon la dureté du bois, l'emplacement de l'uro et son exposition à l'humidité, le bois à l'intérieur de l'uro finira par pourrir dans le futur, mais cela n'affectera pas les parties vivantes de l'arbre.
Toutefois, s'il est nécessaire de s'assurer que le bois ne pourrira pas à l'avenir, il faut le traiter avec un durcisseur de bois.
Certaines essences, comme le bouleau, ont un bois très tendre, qui est particulièrement sensible à la pourriture s'il est exposé à l'humidité : ne pas créer d'uro sur ces espèces, s'il existe une possibilité que la
plaie cicatrise naturellement...et protège donc le bois naturellement.
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